L’IE-Club a toujours su être présent pour soutenir les nobles causes ; aujourd’hui nous pensons à ce qui se joue en Iran pour la liberté et la démocratie.

Le collectif BARAYE  (www.baraye.fr) a organisé un concert de soutien au peuple Iranien.

A cette occasion Philippe Lemoine nous a lu un texte d’Edgar Morin qui porte haut le caractère universel de ces trois mots : Femme, Vie, Liberté

Edgar Morin aura 102 ans, l’été prochain. Je suis proche de ce grand sociologue depuis 50 ans. Il est Président d’honneur du Forum d’Action Modernités, la Fondation que je dirige. Il tenait absolument à participer à notre soirée. Sa santé ne lui a pas permis de venir, ni même d’enregistrer une vidéo. Il m’a demandé de lire le message suivant qu’il avait écrit :

J’avais fait il y a quelques années un séjour à Téhéran, invité par la chaire Unesco de l’Université. J’y ai découvert, sous le boisseau officiel, une très vivante activité intellectuelle masculine et féminine et aussi que toutes femmes que je rencontrais, ôtaient toutes le voile, dès qu’elles étaient dans un espace privé !

La révolte actuelle, révolte spontanée et généralisée dans le rejet du voile, témoigne du rejet du symbole-même de la cruelle et imbécile domination de la conception la plus obscurantiste de la religion islamique, mais aussi de la domination multiséculaire de l’homme “macho” sur la femme. Domination universelle, mais particulièrement barbare en Iran. Du même coup, les femmes iraniennes mènent le combat pour la liberté de l’homme, lui-même soumis à la dictature des ayatollahs, pour la liberté de tous les iraniens, y compris les minorités comme celle des Kurdes qui se sont soulevées à l’instigation de la révolte féminine.

Leur combat pour la femme, pour l’homme, pour l’Iran, est une expression admirable et tragique d’un phénomène universel qui est le grand phénomène révolutionnaire de notre siècle :  la révolte des femmes dominées, opprimées, exploitées sexuellement et pas seulement socialement.…Les femmes prennent conscience que leur destin social ou matrimonial n’est pas naturel, mais issu d’une conception moyenâgeuse autoritaire, où les hommes qui la subissent la font subir encore plus cruellement aux femmes.

Certains croyaient, au XXème siècle, que le prolétariat masculin était le porteur de la liberté de tous. Nous savons aujourd’hui que c’est la révolte féminine qui est porteuse de la liberté de tous ! Les femmes sont à l’avant-garde partout, et aujourd’hui surtout, dans un régime d’arriération et de fanatisme.

Inclinons-nous devant elles, leurs morts, leurs deuils !  Même s’il serait étouffé, leur mouvement restera dans l’histoire comme un moment sublime.

Nous disons « Femme, Vie, Liberté », en y incluant justement la Vie.

Qu’est-ce vivre ?  Sinon participer – consciemment ou non – à la lutte entre ces deux ennemis inséparables que sont Éros, les forces d’amour, de communion, d’épanouissement et Thanatos, les forces de haine, de mépris, de cruauté. Le féminin est radicalement lié à Éros, car il donne vie, protège vie, perpétue vie. Car c’est lui qui peut donner aux relations humaines la tendresse. Il a commencé à développer sa propre part féminine dans le masculin (qui contient en lui de façon latente le féminin, tout comme le féminin contient en lui de façon latente le masculin), de même que le féminin en s’émancipant, développe sa part masculine sans perdre mais en intensifiant sa féminité.

La grande révolution féminine est en marche. Ses héroïnes actuelles sont en Iran.

Je m’incline devant elles et je demande à chacun de s’incliner.

Edgar Morin